dimanche 29 avril 2007

Lettre n° 2

Bonjour,

Il paraît que vous n’avez pas encore pris note de mon exil. En tout cas, mon blog anawakien est désespérément vide. Et ne me dites pas que la vie à Espars est plus dynamique et qu’on n’a pas le temps de soigner sa correspondance. Du temps, on trouve toujours.
Ce week-end j’ai fait le tour de la campagne anawakienne… ou plutôt un des tours possibles. Je suppose que cette expression a été forgée à Anawak avant d’être importée à Espars, car il n’y a pas un autre endroit dans le monde où elle correspond si bien à la réalité.
Ici comme à Espars, ce week-end marque la fin des Vacances des cents Voyous. Des Espariens paranoïaques sont venus s’installer à Anawak, persuadés qu’ils pourront y retrouver un peu de sérénité. Quelques jeunes anawakiens ambitieux ont quitté leurs familles et copains pour aller continuer leurs études à Espars. Le Couloir gratuit est désormais fermé et la vie peut reprendre sa course habituelle.
Alors, avant-hier trois collègues sont venus me chercher de bon matin. On a pris le petit-déjeuner ensemble et puis on a roulé plein Est, le long de la rivière Nequar, juste pour rentrer le soir par la porte ouest de la ville. Pas de panneaux « Frontières floues », pas de carte de vigilance météo, pas besoin d’écouter la radio tous les demi-heures. Anawak est un formidable cul de sac où l’on se sent complètement rassuré. On pourrait presque croire qu’Anawak est l’utérus de la Terre comme le veut la mythologie anawakienne, l’endroit où les premiers hommes sont apparus. Par ailleurs, les anawakiens sont toujours aussi fiers de leur monde tout rond, tout sécurisé, comme un cocon, où l’Est, Ouest, Sud et Nord forment des nœuds inextricables. Et ils ont beaucoup de mal a comprendre comment nous, à Espars, on arrive à vivre avec l’insécurité de nos frontières avec l’Extérieur. Cela les étonne encore plus qu’on ait eu l’idée d’organiser un jeu de loto là-dessus.
Je les ai rassurés qu’avec le progrès de la météorologie, la vie là-bas est devenue beaucoup plus sure. Je leur ai dit que les Espariens sont un peu fatalistes et que chacun cultive en soi la confiance que le passage accidentel n’arrivera pas à lui. Enfin, il est clair que certains n’y arrivent pas… Dans le Couloir, j’ai rencontré plein de petit-vieux, affolés par l’idée qu’ils pouvaient perdre soixante-dix ans de souvenirs. Du coup ils avaient investi toutes leurs économies dans une petite baraque quelques part dans les collines d’Anawak. Il faut dire que l’immobilier anawakien est en plein essor grâce à nos compatriotes.
Hier je suis allé visiter le château d’Anawak, perché sur une des collines au-dessus de la Nequar. Le château est en partie démoli, mais ce qui reste garde un aspect à la fois majestueux et romantique. Si j’avais été courageux, j’aurais pu continuer plus loin et me retrouver sur l’autre rive, du côté du Sentier des philosophes, mais cela m’aurait fait une trop bonne trotte. Par contre, le week-end suivant je ferai bien une descente de la Nequar en canoë. C’est trop tentant - il suffit de se laisser descendre pour se retrouver en amont !

Bien à vous,
Krysto

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