lundi 30 avril 2007

Lettre n°4

Bonjour,

Ca y est... les autorités anawakiennes ont publié le bilan du dernier trimestre des cents Voyous et il paraît que celui-ci n’a jamais été plus rassurant. Dans la liste des accidents les plus graves on peut signaler quelques tentatives de meurtre par jalousie « classique », ainsi que l’exploit d’un lycéen déséquilibré qui aurait essayé de rentrer avec une arme à feu dans la grande surface d’Anawak. Il n’y a pas eu de morts ni de blessés graves.
Il faut dire qu’ici le trimestre des Voyous craint toujours plus qu’à Espars… Un assassin esparien sait que s’il emprunte le Couloir pour aller à Anawak, il ne peut pas s’en échapper vraiment, et encore moins avec les moyens de communication modernes. Or, un déséquilibré anawakien peut même aujourd’hui nourrir l’espoir insensé de fausser l’enquête et de gagner l’Extérieur avant que les autorités anawakiennes ne demandent sa mise en détention à Espars.
Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que les contrôles dans le Couloir, l’internement provisoire des malades mentaux connus des psychiatres, l’invention de l’interphone et la mise en place du couloir artificiel par nos Cheminots ont beaucoup amélioré la situation. Mes collègues anawakiens m’ont rassuré que le trimestre des cents Voyous est presque devenu une période comme une autre… avec la possibilité de passer des vacances en famille en plus. Car, il paraît que même si les temps changent, les familles anawakiennes gardent l’habitude de ne pas se quitter beaucoup pendant ces quelques mois mouvementés.
Enfin, si je suis toujours là dans trois ans, j’aurai l’occasion de faire mes propres observations.

Bien à vous !
Krysto

Lettre N°3

Bonjour,

Il devrait pleuvoir ce soir, alors je vais profiter du mauvais temps pour vous rappeler le mythe anawakien sur la création du monde.

Il y a longtemps, très longtemps, le Soleil était célibataire, alors que la Terre dormait depuis une éternité au bois de la Voie lactée. Quand le Soleil décida de se marier, il parcourut la forêt, réveilla la Terre et l’amena chez lui. Le mariage fut célébré le jour même. Après leur nuit de noces, la Terre mit au jour les herbes, les insectes et les fleurs. Vinrent après les poissons, les arbres, les petits animaux, les grands animaux et les oiseaux. Un par un, les espèces empruntaient le Couloir menant à Espars puis peuplaient le monde extérieur.
Enfin, la Terre tomba enceinte des hommes. Anawak couvrait un territoire beaucoup plus grand qu’aujourd’hui et au début tous les peuples y avaient leur place. Mais les siècles passèrent et les hommes devinrent trop nombreux. Des guerres éclatèrent. De plus en plus de peuples choisissaient le Départ. Au bout de quelques dizaines de générations, il ne resta plus à Anawak que les Anawakiens actuels. Entre temps, Anawak était devenu petit comme on le connaît aujourd’hui.
Voilà pour ce petit mythe anawakien qui semble réserver à Espars le rôle d’un simple passage entre la vie intra-utérine et le monde réel. Un passage à l’issue duquel on oublie tout…
D’ailleurs, les vieux Anawakiens disent que quand il pleut, le Soleil et la Terre font chambre à part. Bon, cela pouvait être aussi le contraire, on n’en sait rien.

Bien à vous !
Krysto

dimanche 29 avril 2007

Lettre n° 2

Bonjour,

Il paraît que vous n’avez pas encore pris note de mon exil. En tout cas, mon blog anawakien est désespérément vide. Et ne me dites pas que la vie à Espars est plus dynamique et qu’on n’a pas le temps de soigner sa correspondance. Du temps, on trouve toujours.
Ce week-end j’ai fait le tour de la campagne anawakienne… ou plutôt un des tours possibles. Je suppose que cette expression a été forgée à Anawak avant d’être importée à Espars, car il n’y a pas un autre endroit dans le monde où elle correspond si bien à la réalité.
Ici comme à Espars, ce week-end marque la fin des Vacances des cents Voyous. Des Espariens paranoïaques sont venus s’installer à Anawak, persuadés qu’ils pourront y retrouver un peu de sérénité. Quelques jeunes anawakiens ambitieux ont quitté leurs familles et copains pour aller continuer leurs études à Espars. Le Couloir gratuit est désormais fermé et la vie peut reprendre sa course habituelle.
Alors, avant-hier trois collègues sont venus me chercher de bon matin. On a pris le petit-déjeuner ensemble et puis on a roulé plein Est, le long de la rivière Nequar, juste pour rentrer le soir par la porte ouest de la ville. Pas de panneaux « Frontières floues », pas de carte de vigilance météo, pas besoin d’écouter la radio tous les demi-heures. Anawak est un formidable cul de sac où l’on se sent complètement rassuré. On pourrait presque croire qu’Anawak est l’utérus de la Terre comme le veut la mythologie anawakienne, l’endroit où les premiers hommes sont apparus. Par ailleurs, les anawakiens sont toujours aussi fiers de leur monde tout rond, tout sécurisé, comme un cocon, où l’Est, Ouest, Sud et Nord forment des nœuds inextricables. Et ils ont beaucoup de mal a comprendre comment nous, à Espars, on arrive à vivre avec l’insécurité de nos frontières avec l’Extérieur. Cela les étonne encore plus qu’on ait eu l’idée d’organiser un jeu de loto là-dessus.
Je les ai rassurés qu’avec le progrès de la météorologie, la vie là-bas est devenue beaucoup plus sure. Je leur ai dit que les Espariens sont un peu fatalistes et que chacun cultive en soi la confiance que le passage accidentel n’arrivera pas à lui. Enfin, il est clair que certains n’y arrivent pas… Dans le Couloir, j’ai rencontré plein de petit-vieux, affolés par l’idée qu’ils pouvaient perdre soixante-dix ans de souvenirs. Du coup ils avaient investi toutes leurs économies dans une petite baraque quelques part dans les collines d’Anawak. Il faut dire que l’immobilier anawakien est en plein essor grâce à nos compatriotes.
Hier je suis allé visiter le château d’Anawak, perché sur une des collines au-dessus de la Nequar. Le château est en partie démoli, mais ce qui reste garde un aspect à la fois majestueux et romantique. Si j’avais été courageux, j’aurais pu continuer plus loin et me retrouver sur l’autre rive, du côté du Sentier des philosophes, mais cela m’aurait fait une trop bonne trotte. Par contre, le week-end suivant je ferai bien une descente de la Nequar en canoë. C’est trop tentant - il suffit de se laisser descendre pour se retrouver en amont !

Bien à vous,
Krysto

jeudi 26 avril 2007

Lettre n°1

Bonjour !

Comme vous voyez, je suis arrivé sain et sauf à Anawak. Le bon vieux couloir entre nos deux villes semble toujours aussi fréquenté… Parmi mes compagnons de route il y avait toutes sortes des gens : des étudiants désirant repousser le moment quand ils seraient forcés de signer leur premier contrat de travail ; des retraités ayant acheté une petite maison dans la campagne anawakienne ; des enseignants ; des chômeurs ; des artistes ; des bons à rien tout âge confondu… Certains voyageurs étaient assez nerveux lors des contrôles de frontière, je pense qu’une fois de plus nos autorités vont devoir reconnaître qu’ils ont laissé s’échapper provisoirement quelques petits escrocs, quelques débiteurs malhonnêtes et une poignée d’adolescents brouillés avec leur parents. Enfin, c’est sans doute mieux qu’avant quand il n’y avait pas de contrôles du tout !
A peine sorti du couloir, j’ai été accueilli par des collègues anawakiens qui m’ont amené dans mon nouvel appartement. Hier, j’ai eu le droit à la visite du lycée et au rendez-vous avec le proviseur. L’ambiance semble correcte. Il y a intérêt, vu que j’ai signé un contrat de mille et un jours ! Enfin, si les choses ne tournent pas rond, je peux toujours retourner à Espars moyennant quelques salaires… D’ailleurs, il paraît que les élèves anawakiens n’ont plus l’habitude de condamner à mort leurs profs d’histoire après un cours qu’ils jugent ennuyant. ;))))) Alors, rassurez-vous, mon exil s’annonce beaucoup plus tranquille que le séjour de la petite Schéhérazade.

Bien à vous,
Krysto